Compagnie Daniel Fernändez
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ON THE DARK | 2025 - work in progress

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NOTE D’INTENTION POUR

ON THE DARK

“Je ne vois pas la nécessité de créer quelque chose de nouveau. Pourquoi devrais-je être original ? Pourquoi ne puis-je pas être non original ?”

Après avoir exploré les troubles et les altérations de la personnalité dans les pièces sur la couleur blanche, On the Dark s'intéresse à l'une de ses causes les plus profondément enracinées dans notre société : l'impératif d'être quelqu'un. Le paradoxe du néolibéralisme numérique dans lequel nous vivons est que plus nos identités deviennent uniformes et standardisées, plus nous devons être constamment originaux, flexibles et créatifs. Même si les réseaux sociaux uniformisent de plus en plus notre imagination et nos opinions et font de nous des PNJ dociles (comme, dans le langage des jeux vidéo, on les appelle des personnages d’arrière-plan qui n’ont aucune pertinence pratique dans le jeu), l’idéologie post-fordiste continue de nous commander d’être uniques, de faire la différence, de chercher notre meilleure version. La ruse d'Ulysse, qui disait qu'il n'était personne, est devenue notre piège : à une époque où nous pouvons tous être quelqu'un, nous ne sommes plus que jamais personne.

Dans Artist at Work, Proximity of Art and Capitalism, Bojana Kunst parle de l'artiste comme sujet paradigmatique du régime post-fordiste. Personne n'illustre mieux l'intégration de ses diktats : être original, devenir entrepreneur de soi, s'adapter au changement, transformer l'auto-exploitation en passion... Cela non seulement place les artistes dans une position particulièrement précaire au sein du capitalisme, mais implique également que, d'une certaine manière, nous sommes tous traités par le capitalisme comme si nous étions des artistes.

On the Dark est conçu comme une évasion ironique face à ces exigences et à leur impact sur le psychisme des individus. Aucun du matériel chorégraphique apparaissant dans la pièce ne sera original, mais copié d'autres chorégraphes, comme William Forsythe ou Dave St Pierre. Ils passeront bien entendu à travers le filtre d'un corps unique, celui du chorégraphe et danseur Daniel Fernández, qui donnera vie à un solo en dialogue avec un musicien live, chargé d'humour qui met en scène la friction entre les grandes œuvres des maîtres et le corps lui-même.

La répétition et la copie constituent un élément fondamental du processus de travail de tout danseur de répertoire. Un danseur doit non seulement apprendre à reproduire fidèlement les partitions de la pièce qu'il doit interpréter, mais il doit également composer avec un certain décalage entre la physicalité requise par les partitions originales et les caractéristiques de son propre corps. On the Dark met en évidence la pression esthétique et artistique en proposant la reproduction de fragments chorégraphiques clairement destinés à un corps différent de celui que l'on retrouve sur scène, en même temps qu'il utilise le manque de ressources comme un élément de jeu qui rend étrange la mise en scène. Ainsi, ce n'est pas seulement un autre personne qui doit interpréter ces scènes, mais on nous propose également une version à très petit budget, dans laquelle les costumes, l'éclairage et la scénographie des pièces originales sont réduits à une expression minimale conventionnelle et symbolique. Les chorégraphies de groupe se limitent également à un seul corps sur scène, accompagné du vide, de la mémoire de ceux qui ne sont plus là.

Ce sentiment d'absence se traduit par une exploration systématique et profonde des différentes couches de signification esthétique, politique, culturelle et psychanalytique de la couleur noire, dans la même veine que celle qui a guidé le processus de création de la première pièce MONOCHROMATIC WORKS. Dans le spectre du noir se trouvent les ombres de la dépression, de la tristesse et du chagrin, mais aussi différentes nuances d'obsession, de force et d'engagement. Le noir a aussi souvent été identifié au manque de lumière, à la folie et à la tromperie. Depuis des années, on lutte pour redéfinir le noir au-delà de ces connotations négatives et le réinterpréter comme un symbole positif de force et de résilience. Dans le même temps, il y a aussi un effort évident pour déstigmatiser les maladies mentales, et les comprendre non pas comme une déviation ou une menace, mais comme un signe et un symptôme d’une condition sociale de vulnérabilité.

On the Dark part de ces connotations négatives de noirceur et de traumatisme et vise à reconvertir le pessimisme et la précarité en une force honnête, comique et réparatrice. Tout en travaillant sur l'appropriation, la copie et la recontextualisation, le projet construit une présence scénique hypnotique et abrasive, au sein d'un univers kaléidoscopique qui nous transporte à travers des pièces chorégraphiques, des références artistiques et des personnages célèbres, de Julia Kristeva à Charles Manson.

La mise en scène est conçue avec une extrême sobriété. Elle joue avec la pénombre et la suggestion sonore, ainsi qu'avec la présence constante d'un corps sur scène. La première approche de la création est que l'éclairage se limite à un seul projecteur, manipulé par le danseur lui-même, et que son action combine mouvement, voix et parole. Et évidemment, la présence du public est l’un des principaux éléments de jeu de cette pièce, très conscient d’être observé et jugé. Après tout, nous ne nous soucierions pas tellement d’être quelqu’un si nous ne nous sentions pas surveillés de l’extérieur. Pour cette raison, On the Dark est une pièce qui renvoie le regard, non pas tant comme une stratégie de confrontation, mais plutôt comme une prise de conscience de l'espace commun que nous occupons dans le monde contemporain.

On the Dark est la première phase d'une recherche plus approfondie qui aspire à devenir une pièce de groupe avec la couleur noire comme axe transversal.